Quelle Langue pour Enseigner les Sciences ?

La question de fond à propos du statut de la langue arabe et les autres langues notamment le français et l'anglais dans l'enseignement secondaire et supérieure est une question importante qui doit être traitée loin des tiraillements politiques et idéologiques et ce en mettant l’intérêt du pays et de nos enfants en premier lieu.

Partant du constat qui est les énormes difficultés des élèves et des professeurs dans les matières scientifiques au cours de la bascule entre collège (matières scientifiques enseignées en Arabe) et lycée (matières enseignées en Français). Ces difficultés sont issues du faible maitrise du Français à la sortir du collège. Or sans maîtrise minimale de la langue l'enseignement des sciences devient difficile. La langue devient une cause de discrimination puisque les bons résultats réservés à ceux qui sont issus des milieux sociaux ayant un encadrement familial et des moyens financières supérieurs à la moyenne.

Le statut-quo actuel ne doit plus durer ... soit a) on bascule tout en arabe au lycée en trouvant les mécanismes pour que la pratique des langues étrangères français, anglais et autres se développent (exemples recyclage massifs des professeurs, coefficients très importants des langues étrangères, obligation de certification en langues au bac, etc.) soit b) en revient à la situation d'avant la mise en place de l'enseignement de base où l'enseignement des sciences était en Français mais cette solution pose deux problèmes majeurs le premier et pas le moindre et qui est le niveau catastrophique quant à la pratique du français de beaucoup de nos professeurs et le second qui est la statut du français qui n’est plus la langue des sciences et de la technologie dans le Monde. Le Français a été plutôt remplacé par l'anglais. S’il faut donc enseigner les sciences dans une langue étrangère il vaut mieux le faire en Anglais.

Dans tous les cas pour l’enseignement supérieur il vaut mieux instaurer la liberté et la diversité quant au choix des langues par les établissements. Voir s’installer des universités tout en anglais, en allemand, en italien, arabe, français, ne fera que développer l’ouverture de nos jeunes et de notre économies et le rayonnement de notre pays.

NB. Opinion personnelle de l’auteur pour stimuler le débat … il ne s’agit pas d’une position de www.aiduca.tn.

Réflexions sur l’enseignement universitaire et secondaire

Par Odile Turki de http://www.aiduca.tn/ - réflexions présentées au cours de la journée Pacte autour de l'éducation.
Je voudrais commencer par remercier les membres du Pacte tunisien, et en particulier Monsieur l’inspecteur Riadh Besbes, de m’avoir invitée à prendre la parole ici aujourd’hui. C’est pour moi quelque chose d’un peu extraordinaire, étant donné que, retraitée, je n’ai plus que très rarement l’occasion de m’adresser à un public comme celui-ci, composé de gens qui prennent vraiment à cœur tous les problèmes de l’éducation. Pour préparer cet exposé, j’ai fait appel à mon expérience d’enseignante (8 ans dans le secondaire en France, puis 12 ans à la Faculté des Sciences de Monastir), ainsi que de parente d’élèves et d’étudiants, et j’ai aussi tenu un grand compte des discussions que j’ai souvent avec mon mari (qui vient d’être élu doyen de la Faculté des Sciences de Monastir où il enseigne depuis 1979). Je me suis efforcée de plus d’interviewer récemment un certain nombre d’enseignants actuellement en activité dans le supérieur ou le secondaire.

Je dois préciser que je ne suis pas « docteur ». J’ai seulement été il y a longtemps élève d’une Ecole normale supérieure, et je suis titulaire d’une Agrégation de Sciences Physiques. Si j’ai toujours le réflexe d’observer ce qui se passe autour de moi, je ne prétends à aucune infaillibilité dans mes jugements. Le sujet est immense : « réflexions sur l’enseignement universitaire et secondaire ». Je vais essayer de soulever avec franchise un certain nombre de questions, afin de stimuler votre réflexion et d’alimenter les débats qui vont suivre. Il y a des problèmes qui se posent à des niveaux différents et à des échelles différentes, certains spécifiques à la Tunisie, d’autres non. Nous essaierons d’ouvrir des pistes, de déterminer des axes de recherche sur lesquels il nous paraît urgent de faire porter nos efforts dans les mois et les années qui viennent.

Perspective générale : que s’est-il passé et où en étions-nous ?
Il me semble que le 14 janvier dernier, nous avons vécu en Tunisie un « sursaut citoyen », exprimant, grosso modo, l’idée que ce n’est sûrement pas en tirant sur les plus pauvres qu’on résoudra les problèmes du pays. Les jeunes, à qui la maîtrise des nouvelles technologies a redonné un certain optimisme (« yes we can »), ont réveillé le civisme des adultes. On a retrouvé quelque chose de la détermination collective qui avait caractérisé l’époque de la lutte pour l’indépendance politique et économique (d’ailleurs l’hymne national a été remis à l’honneur). On a repris conscience des valeurs de civilisation ancrées dans la société, d’un art de vivre ensemble élaboré durant des siècles : chaque citoyen a une égale dignité, il n’accepte pas d’être exploité, manipulé, ou abandonné sur le bord de la route...
Le président Bourguiba avait misé sur l’éducation pour réaliser l’émancipation des Tunisiens et des Tunisiennes, et tout le monde sait que la mobilisation des ressources et des énergies dans ce domaine a été impressionnante. Quand je suis arrivée en Tunisie en 1980, après 8 ans d’enseignement secondaire en France dans différents établissements, j’y ai trouvé des étudiants courtois, au regard vif, et mus par un désir de savoir auquel mes élèves français ne m’avaient pas habituée. Je me suis dit : « c’est merveilleux, il y a encore dans le monde des endroits où on écoute le prof... ». Malheureusement, au fil des années, j’ai remarqué que mes étudiants maîtrisaient de moins en moins bien la langue française, et que cela les gênait énormément pour s’approprier la connaissance des lois physiques. D’autre part les motivations devenaient plus matérielles : il s’agissait davantage d’obtenir un gagne-pain que de comprendre le fonctionnement de notre univers (nous avions fait une enquête à Monastir à ce sujet). Puis le climat a commencé à se détériorer entre collègues et avec les autorités hiérarchiques : les considérations idéologico-politiques (la gué-guerre des clans) prenaient le pas sur la reconnaissance des compétences et sur le travail concret d’amélioration des enseignements... Une logique d’exclusion, voire de persécution, s’installait. Je n’insiste pas, la suite est connue. Il devint évident qu’on pouvait devenir riche et puissant sans avoir beaucoup étudié, et qu’il ne suffisait pas de décrocher un diplôme pour accéder à un emploi intéressant. Certaines notes ont été artificiellement gonflées, et certains enseignements sont devenus formels, coupés du monde réel. Un livre paru en 1992 (Mr Azzouz Abdennebi : « pour un système éducatif efficient ») dénonçait déjà les insuffisances qualitatives de l’enseignement tunisien, notamment aux niveaux primaire et secondaire (d’ailleurs chacun a pu constater la multiplication, ces dernières années, des cours particuliers payants et des écoles privées). Au niveau universitaire, l’augmentation des effectifs et la création spectaculaire de nombreux nouveaux établissements ne sauraient masquer l’incapacité d’un grand nombre d’étudiants à rendre leur savoir opérationnel. Comment s’étonner de l’apparition d’un sentiment d’injustice dans une partie de la population, qui estime que les promesses de la démocratisation de l’enseignement n’ont pas été vraiment tenues ?
Avant de chercher sur quelles bases pourrait s’appuyer une réforme du système éducatif tunisien, je crois utile d’essayer de caractériser le contexte international dans lequel nous nous situons aujourd’hui.

Le contexte international actuel :
Je me contenterai d’évoquer trois points :
- la mondialisation des échanges commerciaux et des informations, conséquence du développement accéléré des communications et des télécommunications. Il est devenu banal de déclarer que le monde est désormais un village. Mais les habitants de ce village ne parlent pas tous la même langue et n’ont pas tous les mêmes normes culturelles, tandis que les écarts de revenus sont considérables. L’échelle de notre cadre de vie a changé, ainsi que l’image que chacun a de lui-même : dans un logement envahi par l’audiovisuel, il se demande avec angoisse ce qu’il pèse par rapport à plusieurs milliards d’individus (souvenons-nous de la chanson : « 600 millions de petits Chinois, et moi, et moi, et moi ? »). Réussirons-nous à établir à l’intérieur de nos sociétés et entre elles des rapports équilibrés, afin d’éviter des guerres dévastatrices ?
-- le progrès scientifique et technique, que depuis l’euphorie des découvertes du XIXème siècle on croyait capable d’instaurer un jour pour toute l’humanité une sorte de paradis sur terre, n’est plus perçu comme tout-puissant (on remarque d’ailleurs dans quelques pays une désaffection pour les études scientifiques, estimées trop difficiles et peu rentables). Nous savons désormais que notre planète a des ressources limitées en énergie et en matières premières, que l’industrialisation a des effets néfastes sur les climats, qu’il est très difficile de se débarrasser de certains déchets nocifs, etc. Selon les endroits, il n’est pas du tout sûr que les générations futures vivront beaucoup plus confortablement que les précédentes, mais personne n’ose le dire, car cette prise de conscience amère risque de provoquer des révoltes. Peut-on interdire aux couches sociales qui ont été jusqu’à présent privées des bienfaits de la modernité d’en profiter à leur tour ? Serons-nous assez lucides pour partager plus équitablement les moyens d’un minimum de bien-être au quotidien, en évitant les désastres écologiques ? Aurions-nous joué aux apprentis sorciers ?
-- l’échec historique du modèle communiste a montré combien le projet volontariste de refaire le monde et d’améliorer autoritairement l’être humain était téméraire, et à quelles catastrophes pouvait conduire la doctrine de « la fin qui justifie les moyens ». Nous avons appris à nous méfier des illusions, et des idéologies qui prétendaient résoudre magiquement tous les problèmes. Les impératifs éthiques réapparaissent dans les débats publics, et les religions retrouvent une audience, car elles donnent à leurs adeptes le sentiment de leur dignité quelles que soient les conditions présentes, relativisées dans une perspective d’éternité. Mais aujourd’hui comme hier, aucun être humain ne saurait se targuer de posséder la Vérité ultime, nous ne pourrons jamais que nous efforcer de servir la Vérité, en refusant au jour le jour de tricher avec les réalités. On ne peut rien bâtir de solide sur des mensonges...

Quelques priorités :
Les réflexions qui précèdent montrent que la vaste question de la réforme du système éducatif ne peut être envisagée d’un point de vue exclusivement technique, sans tenir compte de l’évolution de la société et du monde environnant. Par ailleurs, s’il est certainement souhaitable de discuter avec tout le monde et de puiser des idées partout, chacun de nous sait dorénavant qu’il ne doit laisser personne penser à sa place, et que rien ne le dispense d’assumer ses responsabilités, là où il se trouve. C’est le moment de redonner ses droits au bon sens.
Je voudrais mettre l’accent sur trois priorités, qui peuvent trouver leur application à tous les niveaux de l’enseignement, du primaire au supérieur :

-- l’apprentissage du discernement et la précision du langage :
Nous devons apprendre aux enfants et aux jeunes à mieux regarder autour d’eux, à observer avec perspicacité et à nommer correctement les choses (souvenons des versets coraniques, ou bibliques, où Dieu apprend à Adam les noms des êtres, car c’est la connaissance du nom exact qui donne pouvoir sur la chose nommée). Comme l’a dit F.Bacon, « on ne commande à la nature qu’en lui obéissant », c’est pourquoi il faut d’abord découvrir ses lois, en commençant par identifier les facteurs intervenant réellement dans ses transformations. Vu que beaucoup d’enfants passent des heures devant la télévision, on pourrait rêver que, par exemple, les étudiants des Beaux arts, section « audiovisuel », nous fabriquent des émissions qui stimulent la curiosité enfantine pour les phénomènes naturels. D’autres pourraient inventer des jeux vidéos, d’autres mettre en chantier de petits fichiers proposant des observations simples et probantes « avec les moyens du bord » (je serais prête à y collaborer). Il ne s’agit pas d’accumuler un savoir encyclopédique à régurgiter par cœur, ni d’utiliser un matériel sophistiqué pour éblouir le public avec une prétendue magie. Il faut permettre aux enfants de se servir de leurs mains pour négocier avec la matière, il faut encourager les jeunes à faire réellement des expériences (ce qu’une simulation avec l’ordinateur ne remplacera jamais), à en mesurer les résultats et à décrire eux-mêmes, à l’aide d’un langage le plus précis possible, ce qu’ils voient ou entendent, avant de se lancer dans les interprétations. Je soulève ici la question du bi- ou du tri- linguisme, qui me paraît une excellente chose dans le monde d’aujourd’hui, mais qui nécessite des efforts constants, à tous les niveaux, pour qu’il soit additif, enrichissant, et non soustractif, appauvrissant.
Nous devrons prendre des moyens pour que tous les enfants maîtrisent effectivement la lecture et l’écriture, et que cette compétence soit entretenue tout au long des études (je suis personnellement convaincue qu’on pourrait améliorer nettement les choses dans ce domaine, où l’échec me semble inadmissible). Ce serait une erreur grave, à mon avis, de négliger l’écrit, qui mobilise l’imagination et impose le recul indispensable de la réflexion, l’écrit qui seul permet de fixer et d’articuler les idées en dissipant les confusions, ce que n’offrira jamais l’audiovisuel, fugitif par définition. Mais en Physique par exemple, combien d’élèves savent-ils se servir de leurs manuels ? Combien de devoirs rédigent-ils dans l’année ? Il y a des étudiants qui n’arrivent même pas à écrire une demande simple. Aujourd’hui on peut trouver presque toute la documentation qu’on veut sur internet. Encore faut-il être capable de la déchiffrer et de la comprendre...

-- une attitude méthodique :
Pour résoudre un problème quelconque, il y a un itinéraire à mettre au point : par quoi je commence et par quelles étapes je passe (quand on suit un cours de secourisme, la première leçon, c’est l’ordre des urgences). N’est-il pas évident que les enseignants ne pourront réellement transmettre des connaissances que si, avant d’aborder une notion quelconque (et notamment à l’entrée dans l’enseignement supérieur), ils vérifient le pré-requis (ce qu’il est indispensable de maîtriser pour comprendre la suite), et reviennent éventuellement sur les bases aussi loin que nécessaire ? A quoi sert-il de survoler artificiellement au pas de course un programme dont la signification échappe totalement aux élèves ou aux étudiants (on remarque par exemple leur indifférence complète aux applications numériques) ? C’est pour contribuer à changer cet état de choses déplorable que j’ai personnellement rédigé un petit aide-mémoire, le « Bagage de Physique élémentaire », résumant, dans un volume minimum, toutes les connaissances en Physique que les élèves sont censés avoir acquises dans l’enseignement secondaire. J’ai essayé d’y présenter de manière ordonnée et concrète les principales grandeurs physiques et les relations qui existent entre elles.
Il me paraît d’autre part nécessaire que l’enseignant scientifique connaisse au moins un peu d’histoire et de philosophie des sciences, qu’il sache à quelle époque, et à la suite de quelles phases d’expérimentation et de conceptualisation, les lois qu’il enseigne ont été découvertes, car les théories scientifiques ne sauraient être réduites à une dogmatique ennuyeuse et stérile, ou à un ensemble de formules plus ou moins magiques. Notre travail ne consiste pas à opposer des croyances justes à des croyances fausses, mais à nous appuyer sur le roc du respect des faits et de la cohérence rationnelle.
Plusieurs enseignants de Monastir s’alarment, à juste titre, du fait que la majorité de leurs étudiants n’arrive plus à raisonner, qu’ils ne savent plus apparemment que répéter des exercices préfabriqués. Il est donc urgent de demander à l’enseignement primaire et secondaire de former, selon le célèbre mot de Montaigne, des « têtes bien faites », plutôt que des « têtes bien pleines ». Le savoir doit être organisé, les liens logiques mis en évidence, et l’élève doit pouvoir distinguer ce qui est important de ce qui l’est moins. Enfin il n’apprendra à agir lui-même avec méthode que s’il dispose d’une certaine initiative. Ainsi, en Sciences physiques, parle-ton désormais de « TP-top » (où ce sont les élèves qui, au lieu d’appliquer mécaniquement une série de consignes, élaborent le protocole expérimental et choisissent eux-mêmes le matériel pour atteindre un but donné, le professeur fournissant une fiche de renseignements et ne donnant d’autres informations, au cours de la séance, qu’aux élèves qui les demandent). On s’intéresse à des « situations-problèmes ouvertes » (liées à des nécessités pratiques de la vie quotidienne, où l’élève doit rechercher les variables pertinentes), enfin on met en œuvre des « démarches d’investigation », comprenant la formulation d’hypothèses par les élèves, leur discussion et leur vérification à l’aide de dispositifs qu’ils imaginent et réalisent eux-mêmes. Les collègues qui souhaiteraient plus d’informations sur ces sujets peuvent consulter notamment les BUP 866 (juillet-août-sept 2004) et 886 (juillet-août-sept 2006) sur le site http://www.udppc.asso.fr/ (rubrique « le bulletin »). Il n’est bien sûr pas interdit aux enseignants du supérieur de se former eux aussi à ces nouvelles méthodes : cela représente un important investissement de travail sans doute, mais avec des étudiants plus motivés et autonomes, les résultats ne pourront que s’améliorer, et le métier d’enseignant deviendra plus gratifiant, bref tout le monde devrait y gagner... On peut sans doute étendre cette nouvelle façon de voir les choses à d’autres domaines que les sciences dites exactes.
Il faut enfin absolument se débarrasser du mépris aristocratique pour tout ce qui est travail manuel et compétence technique spécialisée. C’est évident, et je ne suis pas la première à réaffirmer que le savoir-faire est aussi indispensable que le savoir théorique. Je me permets d’évoquer ici la mémoire de mon propre père, ingénieur de métier, qui mettait son point d’honneur à être aussi à la maison un excellent bricoleur. Je me souviens aussi de mes années d’enseignement dans des lycées techniques, où l’on savait construire des dispositifs performants et réparer chaque appareil tombé en panne. J’étais pleine d’admiration pour certains de mes élèves, qui me donnaient l’impression de maîtriser de bout en bout les processus étudiés, depuis le principe général et les conditions de fonctionnement jusqu’à la forme détaillée du plus petit boulon... J’ai eu la chance de côtoyer des professeurs, véritables militants de la promotion de l’enseignement technique, qui ont formé des générations de techniciens efficaces, ce dont aucun pays ne saurait se passer. Il est important que les enseignements dits « appliqués » le soient réellement, et qu’ils soient valorisés : cela suppose des moyens matériels et humains, pour lesquels peut-être on pourrait mobiliser, entre autres, les Tunisiens de l’étranger...

-- Prise en considération du point de vue d’autrui :
Le dernier point que je voudrais aborder relève davantage de la psychologie, mais toute personne ayant enseigné, élevé des enfants ou exercé un métier d’encadrement en connait l’importance. Nous savons que tout être humain a besoin de voir sa valeur reconnue, indépendamment des services qu’il peut rendre. S’il craint que cette reconnaissance lui soit refusée, sa souffrance le poussera éventuellement à un comportement passif, agressif ou tyrannique, empêchant l’établissement d’une relation pédagogique quelconque. Bref, le préalable à tout apprentissage efficace est un climat de confiance, presque de complicité.
Si l’on admet que l’enjeu d’une véritable éducation est la transmission aux nouvelles générations de valeurs universelles, sur lesquelles puisse s’appuyer le consensus social, on commence à s’apercevoir que cela n’est possible que dans certaines conditions. Je signale ici un petit livre récemment paru, qui s’intitule justement « conditions de l’éducation » (M.C.Blais, M.Gauchet, D.Ottavi, éd. Pluriel). Il analyse l’évolution de la famille dans les sociétés occidentales (c’est peut-être un peu différent ici, mais il y a des points communs), le sens de l’acquisition des savoirs littéraires et scientifiques, les conceptions de l’autorité et ses critiques, et enfin le déroulement de la vie quotidienne de la plupart des enfants, qui subissent de fait les rythmes imposés par les emplois du temps des adultes, tandis que la communication intergénérationnelle s’appauvrit. En Tunisie, on pourrait se demander combien de parents suivent vraiment les recommandations du Prophète (àlbs) de « jouer avec leurs enfants jusqu’à l’âge de 7 ans, puis de les éduquer jusqu’à 14 ans, ensuite de les traiter comme des amis » ?
L’être humain naît égocentrique et cherche spontanément à affirmer sa présence dans le monde, parfois de manière envahissante ou tapageuse. Cela ne va pas de soi de laisser une place aux autres, de se soumettre à une discipline pour parler chacun à son tour, ni d’écouter attentivement ce qu’ils ont à nous dire. C’est quelque chose qu’on apprend, d’abord, si on a de la chance, dans sa famille, puis à l’école, et tout au long de la vie. Cependant aujourd’hui nous n’avons guère le choix : il devient évident que seules pourront survivre au tsunami de la mondialisation les sociétés qui réussiront à maintenir une certaine cohésion : chacun de leurs membres doit pouvoir espérer le respect de ses droits élémentaires et la valorisation de ses efforts par ses semblables ; en cas de détresse, il doit pouvoir compter sur la solidarité de tous ceux qui sont en mesure de l’aider. Rappelons-nous qu’en arrivant à Médine, le Prophète (àlbs) avait « jumelé » chaque famille des Muhajirûn avec une famille des Ansars... Les médecins vous diront que le sentiment de solitude a toutes sortes de conséquences néfastes.
Nos sociétés d’aujourd’hui sont souvent caractérisées par les petites stratégies individuelles, où chacun s’efforce de se débrouiller sans trop se soucier de ce qui arrive aux personnes qui l’entourent. Sous le régime précédent, toute association était a priori suspecte et soumise à un contrôle strict. En pratique, généralement seules les réunions familiales étaient tolérées. Dans l’enseignement, le travail d’équipe était rare. A Monastir, on pouvait ignorer quels étaient les collègues qui assuraient les mêmes TP que vous, dans la même salle et avec le même matériel. A part quelques privilégiés, les adolescents et les jeunes n’avaient pas la possibilité de participer à des actions collectives et de prendre des responsabilités à leur échelle. Eventuellement un peu gâtés et un peu trop protégés (donc affaiblis) par leurs parents, ils se rabattaient sur des loisirs peu productifs : bavardages, spectacles de foot, fringues, sorties... Heureusement, ceci est en train de changer.
Les enseignants et les étudiants, ou les élèves, devraient tout simplement, à mon avis, réapprendre à se parler et à écouter leurs points de vue respectifs dans l’analyse des problèmes, de manière à avancer réellement vers les solutions, qui ne sont pas toujours une question d’argent. Bien sûr, tout le monde n’a pas les mêmes idées sur tout, mais on peut généralement se mettre d’accord, à un moment donné, sur la définition d’objectifs pratiques et réalistes, et sur les moyens d’y parvenir. J’ai appris à ce sujet qu’en principe il existe dans chaque université un « observatoire de la qualité », et dans chaque établissement d’enseignement supérieur une « commission de la qualité », ainsi qu’une « cellule d’insertion » destinée à favoriser l’insertion professionnelle des diplômés. Il nous reste à faire effectivement fonctionner ces structures. Pour les enseignants du secondaire, on peut sûrement envisager des permanences et des rencontres, auxquelles pourraient être éventuellement associés, pourquoi pas ? des retraités dans mon genre... Ne pourrait-on pas encore imaginer des correspondances, via internet, entre différentes classes de collège ou de lycée, entre différents groupes d’étudiants, sur des thèmes scientifiques, géographiques, littéraires, historiques,... ? A l’ère numérique, le traditionnel « journal d’établissement » devient moins coûteux, et peut rayonner davantage... (le succès d’un média tel que facebook s’explique certainement par le fait qu’il permet à ses clients d’améliorer l’image qu’ils ont d’eux-mêmes).
Le risque de fuite des dures réalités dans les idéologies existe, pourquoi le nier ? Nous n’éviterons cette dérive, à mon avis, que par la mise en œuvre courageuse de programmes sérieux pour remédier aux aberrations les plus criantes, en ramenant inlassablement l’attention des jeunes et des adultes sur des questions concrètes et précises. L’avenir dira dans quelle mesure nous y parviendrons...

Conclusion :
On pourrait conclure, modestement et provisoirement à l’aide d’un texte que vous connaissez sûrement : « Le Petit Prince » de St Exupéry, écrit en plein milieu de la deuxième guerre mondiale. Il s’agit du fameux dialogue avec le renard. Je ne résiste pas au plaisir de vous le relire :
« - Viens jouer avec moi, lui proposa le Petit Prince. Je suis tellement triste...
- Je ne puis pas jouer avec toi, dit le renard. Je ne suis pas apprivoisé.
- Ah ! pardon, fit le Petit Prince.
Mais, après réflexion, il ajouta :
- Qu’est-ce que signifie « apprivoiser » ?
- Tu n’es pas d’ici, dit le renard. Que cherches-tu ?
- Je cherche les hommes, dit le Petit Prince. Qu’est-ce que signifie « apprivoiser » ?
- Les hommes, dit le renard, ils ont des fusils et ils chassent. C’est bien gênant ! Ils élèvent aussi des poules. C’est leur seul intérêt. Tu cherches des poules ?
- Non, dit le Petit Prince, je cherche des amis. Qu’est-ce que signifie « apprivoiser » ?
- C’est une chose trop oubliée, dit le renard. Ça signifie « créer des liens »...
... Le renard se tut et regarda longtemps le Petit Prince :
- S’il te plaît, apprivoise-moi ! dit-il.
- Je veux bien, répondit le Petit Prince, mais je n’ai pas beaucoup de temps. J’ai des amis à découvrir et beaucoup de choses à connaître.
- On ne connaît que les choses que l’on apprivoise, dit le renard. Les hommes n’ont plus le temps de rien connaître. Ils achètent des choses toutes faites chez les marchands. Mais comme il n’existe point de marchands d’amis, les hommes n’ont plus d’amis. Si tu veux un ami, apprivoise-moi !
- Que faut-il faire ?
- Il faut être très patient, répondit le renard...»

Désignation des directeurs des lycées et de collèges : le ministère de l’éducation nationale doit revoir sa copie

Cette année, la rentrée scolaire au sein des collèges et lycées publics a vu l’arrivée de nouveaux directeurs. Par les temps qui courent, cela peut paraître l’un des fruits de la révolution que l’ont peut saluer à première vue.

Il convient de rappeler que le rôle du directeur est majeur pour développer une culture de la qualité et de l’excellence aux seins de nos établissements. C’est pourquoi il faut porter le plus grand soin au processus de son choix.

Rappelons que la désignation dont il est question a été faite sur la base d’un accord entre le ministère de l’éducation nationale et le syndicat de l’enseignement secondaire stipulant un processus en deux étapes. La première étape est la sélection sur dossier et l’affectation d’un score en fonction d’un ensemble de critères (que nous n’allons pas discuté). La seconde étape est un « entretien oral » joliment appelé " محادثة "

Cette décision de changer des directeurs pendant cette rentrée et le processus adopté pour y arriver appellent malheureusement plusieurs constats.

Le premier constat est que le changement des directeurs n'est pas une simple opération administrative. Il doit au contraire être au cœur de toute une réforme à faire au niveau de notre système éducatif.

Le second constat est que le gouvernement de transition actuel n'a pas la légitimité pour réaliser cette réforme et en plus il n’a pas le temps de le faire compte tenu des délais. Certains directeurs, connus par leurs malversations ou par leur incompétences auraient pu être remplacés sans devoir toucher de manière aussi générale à tout le corps et laisser le soin au gouvernement qui sera élu le soin de réaliser la réforme requise.

En supposant que ce changement était nécessaire, il aurait fallu lancer un débat national et impliquer les autres parties concernées à savoir les partis politiques, les parents d’élèves, la société civile et pourquoi pas les élèves. Un tête à tête entre ministère et syndicat comme s’il était question d’un sujet purement administrative ou purement syndical est très mal venu.

Notre troisième constat concerne le processus choisi qui s’apparente fort à une tazkia à l’ancienne. En effet, après l’analyse du dossier et affectation d’un score le candidat subit un oral devant un jury composé de représentants du ministère et du syndicat attitré. Cet Oral, peut en effet être source de subjectivité car peut ouvrir la porte à un copinage impliquant toutes sortes de motivations telles que politiques, idéologiques ou autres.

Nous pensons enfin que l’élection du directeur par les enseignants et des représentants des parents d'élèves est le seul processus capable d’éviter le copinage, protéger nos établissements des conflits et des malversations et remettre la qualité de l’enseignement comme l’objectif ultime de toute institution qui se respecte. Les enseignants des nos collèges et des lycées seraient-ils moins matures que ceux des enseignants du supérieur, qui eux, ont eu la possibilité d’élire leurs directeurs ?.

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