SOS Lecture ....


Lectrice du dimanche de « La presse », j’ai pris connaissance avec beaucoup d’intérêt de l’article de Monsieur Jaïbi intitulé « Quand le parascolaire tire vers le bas », et je crois qu’il a bien raison d’inciter les parents à jeter un coup d’oeil sur les parascolaires qu’ils achètent à leurs enfants, et de demander à leurs éditeurs de soumettre à une critique un peu plus sévère les ouvrages qu’ils publient. Je me souviens en effet avoir relevé moi aussi, dans les livres de mes enfants, des fautes peu excusables, à divers niveaux...
Mais je voudrais saisir l’occasion d’attirer votre attention sur un problème à mon avis beaucoup plus grave, et très urgent, à savoir l’apprentissage de la lecture en français. Je précise que je suis française, mariée à un Tunisien, que je vis en Tunisie depuis trente ans, que nos trois enfants ont fait, comme on dit, de « bonnes études », et que je suis retraitée de l’enseignement. Il suffit que chacun de nous observe les enfants de son entourage qui fréquentent les 3ème, 4ème, 5ème et 6ème années de l’école primaire, ou qu’il interroge les instituteurs et les institutrices de sa connaissance, pour que le constat s’impose, inquiétant : une proportion notable d’élèves arrivent actuellement au seuil du collège sans être capables de lire correctement une seule phrase en français. Ils ont plus ou moins appris à parler et à réciter, à écrire et à copier, mais pas à lire...
Naturellement, il est toujours difficile d’apprendre à lire dans une langue que l’on pratique peu, et que l’on entend peu pratiquer autour de soi, c’est pourquoi les élèves issus de milieux populaires sont généralement handicapés dès le départ. Mais comment ignorer l’importance de la méthode d’apprentissage ? J’ose affirmer (car je crois que beaucoup de gens partagent mon opinion) que les méthodes en vigueur, dites « globales » ou « semi-globales », actuellement de plus en plus remises en question en France, me paraissent un défi au bon sens quand elles sont appliquées à des élèves dont le français n’est pas la langue maternelle. Les enfants tunisiens abordent le français après avoir appris à lire en arabe, et normalement ils savent déjà très bien ce que sont une lettre, un mot, une phrase, il est donc tout à fait inutile d’y revenir (pourquoi tous ces exercices de « découpage » avec des mots complètement illisibles pour un débutant ?). Il me paraît au contraire impératif de leur donner dès le début, une par une, les clés de la fabrication des mots en français, pour qu’ils puissent identifier les différences avec l’arabe.
La fameuse controverse entre les tenants de la « méthode globale » et ceux de la « méthode syllabique » semble avoir encore de beaux jours devant elle en France (signalons par exemple le livre de la psychologue L.Lurçat, au titre éloquent : « la destruction de l’enseignement élémentaire et ses penseurs »), tant elle est parasitée par des présupposés idéologiques chargés d’émotion. Laissons les experts se disputer entre eux, et occupons-nous de nos enfants. Tout le monde est d’accord qu’il faut parler aux gosses de ce qui est susceptible de les intéresser, et donc éviter le langage trop artificiel, les exercices abstraits, de certains vieux manuels. Mais le principe de base de tout apprentissage raisonnable n’est-il pas de commencer par ce qui est le plus simple, et d’aller progressivement vers ce qui est plus compliqué ? Il n’y a pas besoin d’avoir un doctorat pour comprendre cela. Tout lecteur francophone qui réfléchit un tant soit peu à la question ne conviendrait-il pas que l’apprentissage de la lecture passe, grosso modo, par les étapes suivantes ?
-- identification et sonorisation des lettres, notamment des voyelles ;
-- syllabes simples (b - a ba, m-i mi...) ;
-- syllabes inversées (al, or...) et associations de consonnes (bl, cr...) ;
-- diphtongues : ou, au, eau, eu, oi, on, an, in, un... ;
-- sons particuliers : gn, ail, euil, ouil, oin, ien, tion... ;
Bien sûr, parallèlement à la technique de déchiffrage, il faut acquérir oralement du vocabulaire, sinon on ne comprendra pas ce qu’on déchiffre et on ne pourra pas accéder à la lecture proprement dite. Mais l’échec de beaucoup d’élèves, qui renoncent définitivement à apprendre à lire en français, me semble s’expliquer bien souvent par le simple fait qu’on a voulu aller trop vite, qu’on les a découragés avec des textes trop difficiles et trop longs, et qu’on n’a pas pris le temps de s’assurer qu’une étape était maîtrisée avant de passer à la suivante.
Je ne mets absolument pas en cause le dévouement des instituteurs, qui font ce qu’ils peuvent avec les outils dont ils disposent et les directives qu’on leur impose, et dont beaucoup souffrent certainement de constater le peu d’efficacité de leur enseignement sur un nombre croissant d’élèves. Le gâchis actuel me désole (il s’agit tout de même de l’avenir de dizaines de milliers d’enfants) parce que je suis tout à fait convaincue qu’il existe des quantités de personnes dans ce pays (et notamment parmi les retraités ayant une grande expérience pédagogique) qui ont toutes les compétences nécessaires pour mettre au point une méthode d’apprentissage de la lecture en français conforme à la logique la plus élémentaire, et adaptée aux élèves tunisiens d’aujourd’hui. Ne laissons personne penser à notre place...
Bien entendu, vous n’êtes pas obligés d’être d’accord avec cette vision des choses un peu « catastrophiste », ni même de prendre mes remarques au sérieux, et les responsables des programmes décideront ce qu’ils voudront. Les simples citoyens dans mon genre se contentent généralement de donner, au moment de l’apprentissage de la lecture, un petit « coup de main » discret à leurs enfants, neveux, nièces, ou voisins, sans jamais critiquer ce que fait la maîtresse, afin de préserver leur fragile optimisme. Si cependant je me suis permis de vous écrire, c’est que je me prends parfois à rêver qu’un journal comme le vôtre pourrait sensibiliser le public à ce problème lourd de conséquences, ce qui ferait certainement avancer la recherche des solutions. En ce qui me concerne, je serais sans doute prête à participer à la fabrication d’outils pédagogiques si on me le demandait, mais je crois que beaucoup de vos lecteurs, qui par hypothèse ont appris à lire en français (probablement pour les plus âgés d’entre eux avec les bonnes vieilles méthodes syllabiques), ont aussi leur opinion sur la question, et que certains d’entre eux seraient également en mesure de prendre des initiatives intéressantes (rédaction d’albums très faciles, conception de jeux éducatifs, de logiciels...), avant qu’il ne soit trop tard pour nos jeunes écoliers...

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